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Le langage significatif sur la réalité souffrante des migrants subsahariens résidents de la ville de Kénitra

SOUMIA BOUHDOUD  |  23 OCTOBRE 2021  |  ROUTED Nº17  
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Photo par l'auteur.

Le Maroc représente un carrefour migratoire et un pays d’accueil pour les migrants subsahariens clandestins venus de l’Afrique de l’Ouest qui cherchent à s’installer temporairement au royaume en attendant de continuer leur périple vers l’Europe. Ces derniers utilisent un vocabulaire qui relève leur espoir de poursuivre l’aventure migratoire. En arrivant au Maroc, ils subissent des conditions de vie vulnérables et précaires, exprimées dans leur langage, qui démasque vivement la réalité de leur vécu quotidien dans la ville de Kénitra, surpeuplée par les migrants clandestins.

 

En effet, pour beaucoup de migrants subsahariens fuyants leurs pays à cause de plusieurs facteurs (guerres, conflits politiques, chômage, misère, changement climatique…), l’Europe représente une destination paradisiaque. En passant par les routes les plus dangereuses du monde (désert, trafic d’êtres humains, trafic de drogues, terrorisme…), ils mènent un voyage périlleux pour arriver au Maroc, vu sa proximité à l’Europe. Ces derniers sont souvent des jeunes, en âge d’activité et accompagnés parfois de leurs enfants. 

 

Assoiffés par manque d’eau, mais aussi par manque de vie aisée, ces candidats sont gorgés dès le départ de leur aventure par une ambition forte, qui éveille leur optimisme et efface les bornes mentales de chaque individu, dans le but d’atteindre l’eldorado. Dans cette étape, le mot « Boza », d’origine malienne et qui signifie « victoire », les accompagne durant tout leur itinéraire : « je pars chercher mon boza à mbeng ». « Mbeng » c’est l’Europe. De même, le verbe « frapper » exprime vivement leur aventure périlleuse : « je vais frapper la frontière de Ceuta » veut dire « je vais essayer de franchir la frontière de Ceuta ».  

 

De multiples nationalités de migrants clandestins venus de l’Afrique de l’Ouest s’accumulent assidûment et sédentairement sur le sol marocain, sans pouvoir atteindre l’Europe à cause des politiques de restriction. Mbeng apparaît alors à la fois proche et lointain. Dans cette étape, boza se dessine dans des cartographies virtuelles, par le biais des réseaux sociaux, afin de faciliter les rencontres et les allers-retours à travers le royaume. « Bozer » ou décrocher sa victoire, soit par voie maritime nécessitant la traversée de l’Atlantique vers les îles Canaries dans le Sud, ou la mer Méditerranée vers l’Espagne dans le Nord, soit par voie terrestre qui suscite le franchissement des barrières de la ville Ceuta ou Melilla. 

 

Tourmentés par les multiples chemins qui mènent à mbeng, mais aussi par la fermeture hermétique des frontières de l’Europe, cette phase critique ne décourage nullement les migrants subsahariens qui prennent le relais de se réorganiser et de s’adapter à une nouvelle vie temporairement sédentaire mais vulnérable, en attendant l’occasion propice à la réalisation de leur objectif. Ils s’abritent ainsi dans des « guettos ». Dans ce contexte, ce mot signifie des maisons refuges qui rassemblent plus de vingt personnes dans les marges des grandes villes, ou dans des « bunkers » qui désignent des constructions à base de plastique, draps, cordes et piquets, près des frontières européennes. Selon eux, les bunkers leur apportent la force, mais aussi la sécurité, la chaleur, et l’égalité.

 

Lorsqu’il s’avère que leur séjour devient inévitablement permanent sur le territoire marocain, une grande partie des migrants abandonnent ces abris collectifs et se dirigent vers la capitale Rabat pour obtenir le statut de demandeur d’asile de l’UNHCR, et pouvoir ainsi acquérir tous leurs droits humains et sociaux (santé, éducation des enfants, formations, travail…) de la part du gouvernement, mais également des aides humanitaires de la part des ONG et des associations. Toutefois, il y a lieu de signaler que ces organisations de bienfaisance n’ont pas la capacité de couvrir les besoins d’aide à ce flux migratoire massif, qui ne cesse de s’accroître, par le biais des réseaux sociaux facilitant la communication entre eux.

 

Ainsi, un grand nombre de migrants s’installent à Kénitra, une ville proche de la capitale, car selon eux, la vie est moins chère et la population est plus généreuse avec eux. Ceux-ci habitent dans des logements collectifs qui rassemblent des « frères » de plusieurs nationalités, dans les quartiers les plus vulnérables de la ville, en partageant la cotisation du payement du loyer et de la nourriture. Chose qui explicite clairement que la fraternité est un symbole de solidarité et de coopération qui les rassemble durant tout leur parcours migratoire.

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Photo par l'auteur.

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Soumia Bouhdoud

Je m’appelle Soumia BOUHDOUD et je suis doctorante en sociologie sur la thématique de la migration internationale à l’Université Mohammed Ben Abdellah à Fès au Maroc. Ma thèse s’intitule : « La migration subsaharienne sur le territoire marocain – entre relations internationales et réalité ». Je suis également titulaire d’une maîtrise en sociologie du développement local. Je suis active dans le travail associatif. J’adore le voyage, la lecture, les expositions… N’hésitez pas à me contacter à : soumia.bouhdoud@usmba.ac.ma

 

Sans régularisation juridique, ni travail, ni domicile fixe, cette situation désordonnée leur a appris à se réorganiser et à s’adapter. A savoir, une partie minime de migrants se débrouille avec des projets personnels de vente dans la rue pour survivre, sans couverture sociale. Quant aux autres, plus démunis, ils se contentent de la mendicité. « Faire la salam » est un vocabulaire expressif de la demande de la charité aux feux rouges, dans les grandes avenues, aux marchés… en s’adressant avec « mama » aux femmes, et « baba » aux hommes. Ces mots du dialecte marocain signifiant « maman » et « papa » sont des signes du respect qui affectent les gens qui se comportent parfois avec générosité envers eux.

 

Une autre pratique exercée par ces migrants est la « chetaba ». Ce mot qui fait partie du dialecte marocain signifie « le balai », un geste symbolique pour gagner leur pain en balayant les quartiers populaires de la ville. Aussi, « nadafa », un mot arabe signifiant « propreté » est employé par des migrants clandestins pour proposer aux habitants de jeter leurs déchets ménagers dans des conteneurs poubelles dont ils s’occupent. Ils parcourent les rues en criant « nadafa ! nadafa ! ». Ainsi, les habitants ne sont plus obligés de sortir loin de chez eux pour effectuer cette tâche. Ils leur donnent alors quelques sous en contrepartie.

 

Si le Maroc est devenu un pôle d’attraction pour les migrants subsahariens clandestins qui ne cessent d’arriver, ce dernier n’assure pas l’intégration globale de tous ceux-ci. Afin de sortir de leur situation déplorable, les migrants se réorganisent et s’intègrent au sein de la société marocaine, en développant de nouvelles pratiques de mendicité pour se débrouiller de jour en jour. Accrochés énormément à boza, la majorité de ces demandeurs d’asile n’ont pas l’intention de régulariser leur statut de réfugié au Maroc puisqu’ils espèrent continuer leur chemin vers l’Europe.

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